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Qui a rédigé et composé les Cantigas?

Cette question n'aura jamais de réponse définitive.

Alphonse le Sage, instigateur du projet, pourrait avoir rédigé lui-même certains textes et composé des mélodies.

Sur l'enluminure qui illustre le prologue, le souverain tient un manuscrit à la main, sur lequel on peut distinguer clairement les mots "porque trobar e cousa", qui constituent l'introduction du texte (voir le folio 4v du "codice de los musicos", image 17 sur 524). Il se met clairement en scène en tant que rédacteur du manuscrit.

Il en est de même sur le folio 5R (images 18 du manuscrit)  : Alphonse a un livre devant lui, qu'on peut imaginer être un recueil de miracles accomplis par Santa Maria, dans lequel il trouverait la matière première du texte qu'il compose. Il se met en scène en train de dicter sa composition à deux scribes, assis en tailleur à ses côtés, calame à la main. A droite de la scène, un groupe de quatre chantres semble s'entraîner à interpréter une cantiga contenue dans le livre qu'ils tiennent à la main. En miroir, sur la gauche de l'enluminure, trois musiciens complètent la scène. Deux joueurs de vièle à archet sont en pleine discussion, peut-être pour se mettre d'accord sur l'interprétation de la mélodie d'une des cantigas. Le joueur de citole, quant à lui, accorde son instrument tout en regardant par dessus l'épaule d'un des deux scribes : serait-il dans une phase de composition musicale, en puisant son inspiration dans le texte dicté par Alphonse noté sur le parchemin ? Rien ne le prouve mais l'hypothèse est alléchante.

Alphonse X et des membres de sa famille sont parfois les bénéficiaires des miracles accomplis par Santa Maria. Dans la CSM 209 elle guérit le souverain mourant à Vitoria, par l'intercession du livre des cantigas qu'on lui pose sur le corps. Son père, le roi Fernando, ne peut plus ni manger ni dormir, infesté de vers, quand Santa Maria le guérit à Ona (CSM 221).

L'introduction de certaines cantigas cite parfois directement les sources écrites dans lesquelles le narrateur a trouvé le miracle raconté dans la chanson. 

L'hypothèse qu'Alphonse soit au moins en partie l'auteur des cantigas est corroborée par le fait que de nombreuses cantigas sont introduites par un texte à la première personne : "J'ai entendu un miracle dont je veux vous parler, comme moi-même je l'entendis conter". De même, dans le texte du prologue Alphonse écrit : "j'ai composé ces vers et ce que je désire, c'est que la Vierge fasse de moi son troubadour". A noter que dans les cantigas le poète utilise les codes de l'amour courtois cher aux troubadours, mais en remplaçant la "dame inaccessible" dont le troubadour est amoureux par la Vierge Marie, dont il loue la beauté et les bienfaits.

A-t-il réellement rédigé et composé certaines cantigas? Le mystère demeure, mais les chercheurs répondent généralement par l'affirmative.

 

Ce qui est certain, c'est qu'Alphonse a engagé le personnel nécessaire pour mener à bien la rédaction de cantigas : des lettristes, des miniaturistes, des traceurs de portées, des copistes, mais également des musiciens et des chanteurs pour les interpréter et peut-être pour les composer ou l'aider à les composer (un registre recense 26 musiciens et danseuses engagés à sa cour). 

 

De même que pour les savants qu'il invite à sa cour, les musiciens viennent de toute l'Europe et d'Orient. Plusieurs Troubadours occitans et catalans ont séjourné à sa cour : Guiraut Riquier, qui y a passé 10 ans, Folque de Lunel, Cerverí de Girona ou encore Guillaume Cadenet. Ce dernier s'y est réfugié pour fuir les persécutions de la Croisade des Albigeois. Une des cantigas est d'ailleurs une "contrefacta" (pratique très répandue au Moyen Age qui consiste à utiliser une musique existante avec d'autres paroles ou inversement) d'une de ses chansons. De même, certaines compositions reprennent des mélodies du troubadour Pere Vidal et une autre cantiga est une "contrefacta" d'un conduit de l'école de Notre Dame de Paris.

Non seulement les musiciens qui ont participé à la rédaction des cantigas sont de plusieurs "nationalités", mais ils sont de diverses confessions. On y trouve logiquement en grande majorité des Chrétiens, mais également des Musulmans et des Juifs, comme on peut le voir sur une l'enluminure de la CSM 120 du "codice de los musicos", (image 261 sur 237). Ces derniers ont peut-être contribué à la rédaction et à la composition des cantigas, ce qui a amené certains interprètes à utiliser des instruments, des techniques vocales et des rythmes de la musique arabo-andalouse ou de la musique sépharade. Cette présence de musiciens juifs et arabes à la cour d'Alphonse le Sage fait qu'il est parfois présenté, notamment dans les livrets de certains enregistrements, comme un modèle de souverain tolérant. C'est tentant, mais c'est oublier que plusieurs cantigas ont un contenu antisémite très prononcé.

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